12 septembre 2023
Le nucléaire fait partie intégrante du problème
En réponse à la lettre d’opinion de Philippe Couillard, Christian Paradis et Ross O’Connor « La technologie nucléaire comme élément de solution » parue dans La Presse le 31 août 2023.
Monica Emond
Chercheure indépendante, spécialiste de la culture nucléaire et membre du Nuclear Proliferation International History Project du Wilson Center (Washington)
Dans leur défense de l’énergie nucléaire, les auteurs de la lettre d’opinion prétendent offrir une « lecture réaliste de la situation climatique ». Or, la crise climatique qui nous accable commande exactement le contraire : s’éloigner du nucléaire. Que ce serait-il passé si une centrale nucléaire s’était trouvée au cœur des incendies de forêts cet été ?
Les phénomènes climatiques extrêmes sont et seront de plus en plus nombreux à l’avenir, nous le savons depuis les années 1960. Les centrales nucléaires posent des risques génétiques et sanitaires connus qu’aucune promesse politique et économique n’a le pouvoir de prévenir. Parce que sa production dépend, en plus, d’autres formes d’énergie et qu’elle laisse dans son sillage des cancers, des malformations et des lieux contaminés, l’énergie nucléaire fait partie intégrante du problème.
Les conséquences liées à la production d’énergie nucléaire
Glané dans les annales libérales, le Québec « batterie de l’Amérique » est peut-être un slogan politique sympathique. Or, pendant leur éloge de Robert Bourassa, les auteurs oublient de mentionner que le Parti québécois de René Lévesque a abandonné un projet de développement nucléaire ambitieux de 40 centrales le long du fleuve Saint-Laurent notamment en raison du grave accident survenu en 1979 à la centrale de Three Mile Island en Pennsylvanie. Devant la gravité de l’accident, les autorités locales n’ont eu d’autres choix que d’évacuer la population environnante en raison de la contamination radioactive généralisée.
En 1986, l’accident à la centrale de Tchernobyl en Ukraine a contaminé l’Europe entière et démontré, encore une fois, que la production d’énergie nucléaire comporte des risques bien réels et ingérables. Encore aujourd’hui, le Bélarusse, pays voisin de l’Ukraine et lourdement affecté par les retombées de 1986, compte des dizaines d’orphelinats d’enfants abandonnés aux prises avec des malformations congénitales et des maladies graves et ce, près de 35 ans après l’accident. Les feux de forêts et la guerre récente en Ukraine ont déplacé la radioactivité au point où des scientifiques parlent maintenant d’un second Tchernobyl.
La catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi de 2011, dernière en lice, a toujours cours. Tout récemment, l’amorce du déversement d’eau contaminée au tritium aux abords des côtes a entraîné des réactions vives et consternées des populations vivant dans les régions et pays voisins qui se nourrissent de l’océan. Cette catastrophe sans fin montre à nouveau que l’énergie nucléaire comporte des risques aux conséquences incommensurables qu’une bouchée de poisson du Président Fumio Kishida (ajout : où de l’ambassadeur américain Rahm Emanuel) devant les caméras – répétant par-là le geste du Président français Nicolas Sarkozy immédiatement après la catastrophe pour sauver la face de l’industrie française impliquée auprès de TEPCO – ne devrait pas leurrer quiconque.
Les dommages génétiques sur les générations d’humains, insectes, amphibiens, mammifères, plantes et oiseaux sont observés par des chercheurs au niveau international. Les mêmes maladies et afflictions sanitaires affectent la santé des populations vivant à proximité des centrales, les travailleurs des mines et les victimes des retombées radioactives des essais nucléaires et d’accidents majeurs. Les médecins et épidémiologistes qui travaillent avec les victimes de catastrophes nucléaires civiles et des essais militaires le constatent. Les médecins ukrainiens, états-uniens et russes le savent. Les travailleurs français à statut précaire qui effectuent les tâches les plus périlleuses dans les centrales sont au courant. Les liquidateurs des sites contaminés le subissent. De provenance civile ou militaire, la contamination et la pollution radioactives et leurs conséquences sanitaires forment l’envers du fantasme de contrôle d’une technologie à haut risque.
Des populations cobayes
Il est par conséquent faux de prétendre que le nucléaire est une énergie propre. En plus de la destruction de la forêt, le processus d’extraction du minerai d’uranium contamine durablement les écosystèmes et réseaux hydriques environnants; les centrales nucléaires, aussi sophistiquées soient-elles, rejettent périodiquement des particules radioactives dans l’atmosphère et créent des volumes considérables de déchets hautement radioactifs dont il est impossible de se débarrasser; toute la chaîne de transport du minerai aux déchets dépend par ailleurs du pétrole. Comme la « bombe propre » du Président De Gaulle dans les années 1960, le « nucléaire propre » est un écran de fumée.
Les sites d’enfouissement transforment le territoire en no man’s land contaminé et ce, des générations durant, sans compter les possibles accidents dans les lieux de stockage eux-mêmes. À ce titre, l’exemple du Waste Isolation Pilot Plant (WIPP) est saisissant. Le dépotoir sous-terrain situé au Nouveau-Mexique et sensé accueillir la plupart des déchets radioactifs produits aux États-Unis depuis les années 1940 a connu un accident important en 2014 obligeant une fermeture prématurée pendant deux ans. Une seule explosion sur un seul camion a fait dérailler un projet de plusieurs milliards de dollars qui était pourtant prévu depuis les années 1970.
Au Canada, les gisements d’uranium et les lieux projetés pour établir ces dépotoirs nucléaires se situent en territoires autochtones parfois à proximité des communautés elles-mêmes. Un trait commun de l’histoire globale du nucléaire est l’exploitation et la contamination des territoires autochtones par des gouvernements centraux ou étrangers au moyen de mines, sites d’essais, réacteurs expérimentaux et dépotoirs. C’est l’histoire de tous les États nucléarisés dont le Canada. Pourquoi persister dans cette voie ?
Il est aussi erroné de dire que les réacteurs CANDU n’ont jamais connu d’accident. La liste des accidents est longue. Les réacteurs CANDU, comme n’importe quel autre type, ne sont pas à l’abri d’un accident majeur. Bien au fait de la possibilité que survienne des catastrophes graves, l’industrie nucléaire est tenue par l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) et la Commission canadienne de sureté nucléaire (CCSN) d’établir des protocoles en prévision de tel cas. Le problème avec les réacteurs CANDU vient d’un défaut de conception que connaissent bien les industriels et les physiciens en sureté nucléaire. De plus, ils produisent du plutonium, un élément particulièrement radiotoxique et reprotoxique à l’origine de cancers, de mutations génétiques et de défectuosités reproductives. L’Inde s’est dotée de l’arme atomique grâce à ce type de réacteur vendu par le Canada en utilisant le plutonium résiduel comme matière première.
Les auteurs parlent de « nouvelle génération » de réacteurs comme si leur nouveauté était garante de leur sécurité. Il font plutôt la preuve que la technologie nucléaire est expérimentale. Autrement dit, à chaque fois que l’on développe et met en marche un nouveau réacteur, la population devient cobaye. Vieux ou nouveaux designs, les risques demeurent. L’industrie nucléaire, les gouvernements et leurs stratèges en communication – qui sont souvent les mêmes personnes comme nous le voyons avec les trois auteurs – sont en outre bien au fait des risques inhérents à cette industrie. Leur travail consiste précisément à rendre ces risques acceptables auprès de la population en utilisant jusqu’aux arguments les plus fallacieux. Or, comme disait l’autre, un réacteur nucléaire est la façon la plus stupide et dangereuse inventée par les humains pour faire bouillir de l’eau.
Dans tous les cas, la technologie nucléaire coûte une fortune car elle s’abreuve aux capitaux publics mais privatise les profits. Lorsque survient un accident, les coûts faramineux dépassent toute prévision et fragilisent plus avant les structures de soins préexistantes. Pour une population déjà aux prises avec des taux de cancers élevés et un système de santé public à bout de souffle après 40 ans de négligence des gouvernements successifs, la privatisation et une pandémie, l’option nucléaire s’avère complétement anachronique devant l’augmentation des cancers et autres maladies liés à la production de ce type d’énergie.
Lorsqu’il est question de prendre des décisions en lien avec l’énergie nucléaire, l’espoir, le fantasme et la croyance en une prospérité infinie – pour eux mais pas pour la population en générale – doivent céder la place aux faits, aux observations et aux analyses des conséquences de ce développement à savoir, l’augmentation de la contamination et de la pollution radioactives globales, le risque accru de catastrophes d’envergure et l’incidence des cancers et maladies congénitales. La politique du « jusqu’ici tout va bien » ne saurait nous garder d’une possible catastrophe.